Résumé
Les collocations constituent un lexique particulier de la langue française. Ce lexique est très souvent fréquent dans la langue courante ainsi que dans les articles et les écrits scientifiques. Des études déjà réalisées sur ce vocabulaire ont confirmé l’influence d’une certaine maîtrise de ce domaine de la langue sur le développement des compétences langagières. En effet, dans cet article notre objectif est d’attirer l’attention des enseignants du FLE en Iran sur l’importance de la prise en considération des mots collocatifs dans leurs pratiques, ce qui peut influencer d’une manière positive les différentes compétences langagières des apprenants. Mais il faut souligner que ce modeste travail est le début d’une réflexion qui pourra s’étendre à un champ plus vaste. Nous allons présenter dans cet article un bref historique de ce vocabulaire et les caractéristiques de base de ce concept que nous jugeons utiles pour l’amélioration de l’enseignement-apprentissage du FLE en Iran.
Mots-clés : Collocations, Vocabulaire, L’enseignement, L’apprentissage, FLE.
Introduction
Les collocations sont définies d’une manière à peu près pareille dans des plusieurs langues vivantes du monde comme l’anglais, l’allemand, l’espagnole, le russe et le français. Elles ont également attiré l’attention de plusieurs chercheurs linguistes. Ce vocabulaire particulier est une partie de la phraséologie. Cette dernière est une branche de la linguistique qui étudie les combinaisons de mots partiellement ou totalement figées, appelées unités phraséologiques, en opposition avec les combinaisons libres de mots. La phraséologie est une discipline relativement jeune, s’affirmant en tant que telle à partir des années 1970. En effet, avant le XXème siècle, la phraséologie ne semble guère intéresser les linguistes. En France, Michel Bréal dans son Essai de sémantique distingue une série d’expressions appelée « les groupes articulés », « des mots que l’usage a réunis depuis si longtemps qu’ils n’existent plus pour notre intelligence à l’état isolé » (Bréal, 1897, cité in Legallois et Tutin, 2013, 4). Il en souligne l’aspect préconstruit et le caractère idiomatique. Le premier linguiste qu’on peut considérer comme le précurseur de la phraséologie moderne, c’est Charles Bally (1865-1947). Ce linguiste suisse qui était aussi le disciple de Ferdinand Saussure a pour la première fois proposé une typologie détaillée des phénomènes phraséologiques dans le Traité de stylistique française (1951). Ensuite, plusieurs linguistes ont repris et poursuivi les travaux de Bally, et des recherches de plus en plus vastes, variées et approfondies sont effectuées sur les unités polylexicales phraséologiques et en particulier sur les collocations.
La délimitation de l’objet d’étude de la phraséologie est également controversée, parce qu’il n’y a pas d’accord total concernant les groupes de mots pouvant être considérés comme des unités phraséologiques. Par exemple, les phraséologues russes de l’ancienne Union Soviétique s’occupaient de combinaisons de mots totalement figées, comme les expressions idiomatiques et les proverbes, tandis que les phraséologues anglophones ont dès le début accordé une grande importance à des combinaisons moins figées, telles les collocations.
Les études et les recherches réalisées par des chercheurs linguistes francophones sur le thème des collocations en français ont été faites d’une manière tardive et plus restreinte que celles des linguistes anglophones, ces derniers ont même procédé à la création de plusieurs dictionnaires de collocations en anglais. Mais depuis quelques années, beaucoup de chercheurs linguistes francophones ont travaillé sur les unités phraséologiques et en particulier sur les collocations et les essais de recherche sur ce sujet ont été de plus en plus augmentés et développés en français.
Le cadre conceptuel
En vue d’éclairer le concept de « collocation », nous allons présenter ici quelques définitions nécessaires des collocations avec des exemples. Dans le livre English Collocations in Use, un matériel didactique pour l’enseignement des collocations en anglais, les collocations sont définies comme des combinaisons naturelles de mots qui sont Souvent utilisées par des locuteurs natifs de la langue. En français, on trouve également des définitions pareilles. La collocation est un groupe de mots qui se trouvent souvent ensemble comme « rendre visite à quelqu’un », « poser une question », « faire un rêve », « jouer un rôle » et « prendre en charge ».
Cavalla, linguiste française, a défini récemment les collocations dans son essai de recherche dans une vision didactique. Elle mentionne : « Voici une définition résumée de la collocation telle que l’enseignement peut l’envisager dans un premier temps - et la développera dans ses aspects plus spécifiques seulement dans un deuxième temps : après une maîtrise déjà avancée de ces phénomènes de la part des apprenants - : Dans les collocations, l’un des éléments conserve son sens habituel tandis que l’autre est quelque peu métaphorisé, les degrés de métaphorisation varient d’une collocation à l’autre ». Deux exemples pourront éclairer ce propos :
- « J’ai une peur bleue »
Le mot peur garde son sens habituel, mais pas bleue qui subit une forte métaphorisation puisqu’il signifie alors « très fort » ; avoir une peur bleue signifie avoir une très forte peur et pas avoir une peur de couleur bleue.
- « Avancer une hypothèse »
Le mot hypothèse garde son sens habituel tandis qu’avancer subit une métaphorisation puisqu’il signifie « écrire en décrivant et en expliquant » ; avancer une hypothèse signifie rédiger, décrire et expliquer une hypothèse et pas pousser en avant physiquement une hypothèse qui reste souvent un objet abstrait difficile à pousser.
Unité phraséologique figée versus collocation
Une unité phraséologique est figée et opaque, quand elle ne peut pas subir les mêmes transformations syntaxiques qu’un syntagme libre d’une part, et du point de vue sémantique, elle n’est pas la somme des sens de ses composants. Afin de mieux éclairer cette définition, nous présentons les exemples suivants : « mettre les voiles » est une expression familière qui signifie s’en aller. On ne peut pas dire mettre quelques voiles. Et du point de vue sémantique, le sens de « mettre les voiles » n’est pas la somme des sens de ses composants. Ou par exemple pour exprimer le fait qu’une personne est morte, on peut dire familièrement qu’elle « a cassé sa pipe ». En effet, si on dit : « Monsieur Martin a cassé sa vieille pipe », l’expression n’a plus le sens qu’elle avait auparavant, elle signifie simplement que monsieur Martin a cassé l’objet qui lui servait à fumer. Les collocations ne s’accompagnent pas d’une opacification telle qu’on voit dans les expressions figées. C’est-à-dire, le sens compositionnel reste en quelque sorte la somme des sens de constituants. Leur figement syntaxique est également moins grand. Autrement dit, les collocations sont plus flexibles sur le plan syntaxique. Par exemple, Si on entend que quelqu’un est « éperdument amoureux d’une personne », il est également possible d’entendre « follement » ou « aveuglément » amoureux de quelqu’un.
L’importance des collocations en didactique des langues vivantes
Les collocations sont très nombreuses en français, et elles sont largement employées dans les différents registres de la langue. Les linguistes ont essayé de les classifier en plusieurs grands ensembles. En plus, le degré de maîtrise de ce vocabulaire reflète le niveau des compétences langagières. Pourtant, elles ne sont pas suffisamment étudiées en français et il reste encore beaucoup de travaux de recherche à entreprendre. Cavalla dit : « Nous nous sommes intéressés plus particulièrement aux collocations pour deux raisons, une première d’ordre linguistique : ce sont des structures encore peu étudiées et pourtant complexes au plan morphosyntaxique car variées ; ce ne sont pas des structures spécifiques à un domaine mais à plusieurs domaines d’un même genre (le genre « écrits universitaires ») ; ce sont des structures qui rassemblent toutes les parties du discours, ce qui est intéressant tant en linguistique que pour l’enseignement à des apprenants étrangers »(Cavalla, 2008, 93). Ce propos précise de plus l’importance des collocations en compétences discursives et leur contribution à la cohérence des discours.
Elle ajoute : « Une deuxième raison d’ordre didactique : ce sont des structures qui sont peu enseignées ; la phraséologie est très présente dans ces écrits et sous différentes formes (expressions figées, collocations ...) et reste le reflet d’une certaine maîtrise de la langue » (Cavalla, 2008, 94). Ici, cette linguiste souligne le fait que les collocations sont très peu enseignées, malgré la présence considérable des unités polylexicales de la phraséologie dans les écrits, selon elle, et même dans les discours oraux. Car, le niveau de la compétence en utilisation des unités phraséologiques et notamment les collocations, est un critère important d’ avoir une bonne maîtrise de la langue et de distinguer les natifs de non-natifs. Selon Mel’cuk, linguiste canadien : « Un natif parle en phrasème. Si ce postulat crucial est accepté, et nous l’acceptons, il apparaît alors clairement que l’apprentissage systématique des phrasèmes est indispensable dans l’enseignement d’une langue, que ce soit la langue maternelle d’un apprenant ou une autre langue étrangère, et indépendamment de l’âge ou du niveau d’éducation de l’apprenant » (Mel’cuk, 1993, cité in Yu-Jieh LIN, 2015, 1)
Le terme « phrasème » proposé par Mel’cuk ici, peut être conçu avec un terme plus général comme « unité polylexicale ». Selon LIN, Le CECRL l’a également inclus dans la description des compétences lexicales attendues pour les apprenants en langue étrangère, surtout pour ceux des niveaux avancés. Dans le livre Les apprentissages lexicaux, sous la direction de Grossmann et Plane, il est précisé que :
« Les collocations constituent un domaine du lexique difficile à maîtriser par les apprenants non-natifs. Pour la production des combinaisons libres, il suffit de connaître le vocabulaire et savoir manipuler les règles de la grammaire. Quant aux expressions figées, elles peuvent être apprises par cœur. Les combinaisons semi-figées (collocations), en revanche, nécessitent un travail particulier de la part de l’apprenant. Elles fournissent un accès indispensable à la langue étrangère, d’autant plus qu’elles diffèrent d’une langue à l’autre, ce qui pose inévitablement des problèmes aux apprenants. Les collocations avec un certain degré de figement (opaque selon la classification de A. Tutin et F. Grossmann, 2002) comme peur bleue sont plus difficiles à encoder, alors que les combinaisons telles que éprouver de la peur ou ressentir la peur (régulières selon cette même classification) semblent être plus faciles à acquérir, car il existe une certaine solidarité lexicale entre la base et le collocatif » (Novakova et Bouecheva, 2008, 220). Dans ce livre, l’auteur, qui a particulièrement travaillé sur les collocations du type avoir ou être + Nom de sentiment, ajoute : « Par ailleurs, la fréquence des collocations est beaucoup plus élevée dans les productions langagières des natifs par rapport aux non-natifs, même ceux qui maîtrisent bien la langue. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles l’enseignement des collocations intervient à des stades plus avancés de l’apprentissage. » Mais, selon elle, Il y a aussi la question des erreurs contrastives et les confusions entre le lexique de la langue maternelle et celui de la langue étrangère. C’est pour cette raison qu’elle arrive à un résultat intéressant et c’est le fait qu’il vaut mieux donc d’enseigner certaines collocations dès le niveau débutant. Elle déclare que si la conceptualisation contrastive des collocations qui implique une réflexion métalinguistique sur les différences et les correspondances entre les moyens d’expression de la langue étrangère et ceux de la langue maternelle concernent surtout les apprenants d’un niveau avancé, certaines d’entre elles doivent trouver leur place dès le niveau débutant. Verlinde et Selva considèrent à juste titre qu’ « il serait faux de croire qu’il faut commencer par présenter des mots isolés pour passer ensuite aux combinaisons des mots. Certaines collocations et expressions très courantes méritent au contraire d’être introduites dès le début » (2001, 47). Ainsi, certaines combinaisons peuvent être signalées à des apprenants débutants dans le cadre d’une sensibilisation langagière (Language Awareness). Ceci est particulièrement valable pour le cas des combinaisons à verbe support avoir et être (avoir faim, avoir soif, être en colère) qui font partie de vocabulaire de base, contrairement aux collocations de type peur bleue, fort comme un turc, qui peuvent faire l’objet d’un enseignement plus avancé » (Novakova et Bouecheva, 2008, 221).
Conclusion
Comme nous avons déjà mentionné, cet article est une simple et concise présentation d’une partie du lexique français, particulièrement les collocations, qu’en dépit de leur importance dans l’enseignement-apprentissage de la langue et l’acquisition de différentes compétences langagières, sont très peu connues de la part des enseignants et ne sont donc pas suffisamment enseignées dans le contexte iranien. Nous avons souhaité que cet article puisse aider le déclenchement de meilleurs travaux en but d’introduire ce vocabulaire de manière plus systématique dans l’enseignement-apprentissage du FLE en Iran.
Bibliographie
Cavalla, Cristelle, 2008, Les collocations dans les écrits universitaires : un lexique spécifique pour les apprenants étrangers. Olivier Bertrand et Isabelle Schaffner. Apprendre une langue de spécialité : enjeux culturels et linguistiques, 93-104, Édition École Polytechnique.
Cavalla, Cristelle, « Réflexion pour l’aide à l’écrit universitaire auprès des étudiants étrangers entrant en Master et Doctorat », Actes du colloque L’accueil des étudiants étrangers dans les universités francophones : sélection, formation et évaluation, Université d’Artois et la Chambre de Commerce et d’Industrie de Paris, 1er Juin : Arras, ss.dir. J.M. Mangiante.
Grossmann, Francis et Tutin, Agnès (ss.dir.), 2003, Les collocations : analyse et traitement, De Werelt : Amsterdam.
Legallois, Dominique et Tutin, Agnès, 2013, Présentation : Vers une extension du domaine de la phraséologie, Langages n°189, 3-25, Armand Colin : Paris.
Mel’cuk, Igor, 1993, « La Phraséologie et son rôle dans l’enseignement-apprentissage d’une langue étrangère », Études de linguistique appliquée n°92, 82-113.
Mel’cuk, Igor (ss.dir.), 1984, 1988, 1992, 1999, Dictionnaire explicatif et combinatoire du français contemporain : recherches lexico-sémantiques Ι, ΙΙ, ΙΙΙ, ΙV, Presses de l’université de Montréal : Montréal.
Novakova, Iva et Bouecheva, Ekaterina, 2008, Les collocations du type avoir ou être + Nom de sentiment en français et en russe. Aspects linguistiques et didactiques, Les apprentissages lexicaux, ss.dir. F. Grossmann et S. plane, 219-232, Septentrion : Villeneuve d’Ascq.
Yu-jieh, Lin, 2015, Présenter son mémoire : Pré-soutenance : L’enseignement des collocations, en ligne : https://arlap.hypotheses.org/404